Chapitre 28

 

 

Lissa n’eut pas besoin de répondre quoi que ce soit pour m’exprimer sa stupeur. Aucun mot n’aurait pu mieux la formuler que le fait de la ressentir directement. J’avais en revanche un message important à lui transmettre. – Plonge !

Je crois que ce fut la surprise qui lui permit de réagir si vite. Elle se jeta par terre. Son mouvement fut maladroit, mais elle parvint à esquiver l’attaque directe de Reed et à s’éloigner un peu de la fenêtre. Son adversaire lui percuta l’épaule et un côté de la tête, mais ne lui causa qu’une douleur légère.

Bien sûr, « une douleur légère » revêtait un sens très différent pour elle et pour moi. Même si Lissa avait été torturée à deux reprises, la plupart des combats qu’elle avait livrés étaient psychiques. Elle ne s’était jamais battue physiquement. Alors qu’être projetée contre un mur était un événement banal pour moi, une simple bosse à la tête était quelque chose de monumental pour elle.

— Rampe, lui ordonnai-je. Eloigne-toi de lui et de la fenêtre, en direction de la porte, si tu peux.

Lissa commença à progresser à quatre pattes, mais elle était trop lente. Reed l’attrapa par les cheveux. J’avais l’impression que nous jouions au jeu du téléphone : entre le temps que je mettais pour lui donner mes instructions et celui qu’il lui fallait pour comprendre comment les mettre en pratique, son délai de réaction était si lent que mes messages auraient aussi bien pu passer par l’intermédiaire de cinq personnes avant de lui parvenir. J’aurais aimé pouvoir contrôler son corps comme un marionnettiste, mais je n’étais pas une spécialiste de l’esprit.

— Tu vas avoir mal, mais retourne-toi autant que tu peux et frappe-le.

Oui, cela ferait mal. Se retourner signifiait qu’il tirerait encore plus douloureusement sur ses cheveux. Elle s’en sortit néanmoins assez bien et martela Reed de coups de pied et de poing. Ceux-ci n’étaient pas très bien coordonnés, mais ils le surprirent assez pour qu’il lâche ses cheveux et tente de la repousser. Ce fut alors que je remarquai que ses mouvements n’étaient pas beaucoup mieux coordonnés que ceux de Lissa. Il était plus fort qu’elle, c’était un fait, mais il n’avait pas reçu d’entraînement au combat et ne pouvait guère faire mieux qu’utiliser son poids et donner des coups basiques. Il n’était pas venu pour se battre contre elle, mais seulement pour la pousser par la fenêtre.

— Enfuis-toi si tu peux !

Elle recula à quatre pattes, malheureusement pas en direction de la porte, et finit par heurter un fauteuil de bureau à roulettes.

— Soulève-le ! Frappe-le avec !

C’était plus facile à dire qu’à faire. Reed, debout devant elle, essayait toujours de l’agripper pour la remettre sur ses pieds. Elle attrapa le fauteuil et le fit rouler pour percuter le garçon avec. J’avais plutôt dans l’idée qu’elle le lui fracasse sur la tête, mais ce geste n’était pas aussi facile à réaliser pour elle que pour moi. Elle parvint néanmoins à se remettre debout en maintenant le fauteuil entre eux. Je lui conseillai de continuer à heurter Reed avec pour le forcer à battre en retraite. Cela marcha un peu, mais elle n’avait pas assez de force pour lui faire vraiment du mal.

Je m’attendais à tout moment à voir Avery se joindre au combat. Cela ne lui aurait pas réclamé beaucoup d’efforts d’aider Reed à maîtriser Lissa. Au lieu de cela, je la vis, du coin de l’œil de Lissa, assise sur le canapé, parfaitement immobile, avec le regard perdu dans le vague. Soit. C’était bizarre, mais je n’allais pas me plaindre qu’elle reste en dehors du combat.

Lissa et Reed étaient désormais dans une impasse d’où je devais la sortir.

— Tu es sur la défensive, lui fis-je remarquer. Tu dois l’attaquer. J’obtins finalement une réponse directe.

— Quoi ? Mais je ne peux pas ! Je ne saurais pas comment m’y prendre !

— Je vais te montrer. Commence par lui donner un coup de pied, de préférence entre les jambes. Ça neutralise la plupart des garçons.

Je m’efforçai alors de lui faire ressentir la manière dont elle devait contracter ses muscles pour frapper. Lissa rassembla son courage, puis repoussa le fauteuil qui entravait ses mouvements. La surprise de Reed lui fournit l’occasion de frapper. Elle projeta son pied. Il manqua sa cible, mais atteignit le genou du garçon, ce qui était presque aussi bien. Il partit à la renverse lorsque sa jambe se déroba sous lui et ne parvint qu’à se raccrocher au fauteuil, qui ne lui facilita pas les choses en se mettant à rouler.

Au point où nous en étions, Lissa n’eut pas besoin que je le lui conseille pour courir vers la porte. Sauf que la voie n’était pas libre. Simon venait d’arriver. Pendant un instant, Lissa et moi en éprouvâmes du soulagement. Un gardien ! Les gardiens assuraient notre sécurité. Le problème était que ce gardien travaillait pour Avery. Il devint rapidement évident que ses fonctions s’étendaient bien au-delà de la seule tâche de la protéger des Strigoï. Il entra dans la chambre, saisit Lissa sans la moindre hésitation et l’entraîna brutalement vers la fenêtre.

Je me retrouvai un moment à court de conseils. J’avais été un coach passable tant qu’il s’était agi de lui montrer comment repousser un adolescent revêche. Mais un gardien ? D’autant plus que ledit adolescent revêche s’était finalement remis du coup de Lissa et s’approchait pour aider Simon à finir le travail.

— Sers-toi de la suggestion !

C’était mon dernier conseil dicté par le désespoir. La suggestion était la grande force de Lissa. Malheureusement, si elle avait éliminé assez d’alcool pour améliorer sa coordination, elle n’avait pas encore recouvré la pleine maîtrise de l’esprit. Elle pouvait effleurer son pouvoir, mais à peine. En revanche, elle était farouchement déterminée. Elle puisa autant de magie qu’elle put et la concentra en suggestion. Rien ne se produisit. Alors je sentis de nouveau cet étrange picotement dans la tête et crus d’abord qu’Avery revenait à la charge. Sauf qu’au lieu d’avoir l’impression que quelqu’un entrait en moi j’eus plutôt celle qu’on passait par moi.

En sentant la magie de Lissa s’accroître tout à coup, je compris ce qui venait de se produire. Oksana, qui se trouvait toujours quelque part en arrière-plan, venait de prêter son soutien à Lissa par mon intermédiaire. Simon se figea et offrit un spectacle presque amusant. Il tressaillit légèrement, puis se mit à osciller d’avant en arrière comme il essayait d’avancer sur Lissa pour achever sa tâche macabre. Il avait l’air d’être pris dans un bloc de gelée.

Lissa hésitait à bouger de crainte de perdre le contrôle de Simon. Le fait que Reed ne soit pas sous son influence soulevait un autre problème, mais il était encore sous le coup de la surprise et observait Simon sans réagir.

— Tu ne peux pas me tuer comme ça ! s’écria Lissa. Ne crois-tu pas que les gens vont se poser des questions lorsqu’ils trouveront mon corps sous une fenêtre ?

— Ils ne se rendront compte de rien, répondit Simon avec raideur. (Même le fait de prononcer des mots lui était difficile.) Puisque tu seras ressuscitée. Et si cela se révèle impossible, ils verront ta mort comme un tragique accident arrivé à une fille perturbée.

Petit à petit, il commença à échapper à la suggestion. Je sentais toujours le pouvoir de Lissa, mais il faiblissait un peu. Il y avait une fuite quelque part. Cela pouvait s’expliquer par l’influence d’Avery, la fatigue de Lissa ou les deux à la fois. Finalement, avec un sourire de triomphe, Simon fit un brusque mouvement en avant puis…

… se figea de nouveau.

Une aura dorée étincela derrière Lissa. Elle tourna légèrement la tête et aperçut Adrian dans l’embrasure de la porte. Son air ahuri était comique à voir, mais il avait suffisamment décrypté la scène pour s’en prendre à Simon. Désormais, c’était sa suggestion qui immobilisait le gardien. Lissa se tortilla pour échapper à sa prise, tout en tâchant de rester le plus loin possible de cette maudite fenêtre.

— Retiens-le ! cria-t-elle.

Adrian grimaça.

— Je… n’y arrive pas. Que se passe-t-il ? C’est comme si quelqu’un d’autre…

— Avery, lui expliqua Lissa en jetant un bref coup d’œil vers elle.

Son visage était d’une pâleur extrême, même pour une Moroï. Elle avait le souffle court et transpirait de plus en plus. Elle combattait la suggestion d’Adrian. Quelques instants plus tard, Simon se libéra de nouveau. Il avança sur Lissa et Adrian, quoique d’une démarche maladroite.

Merde ! songeai-je.

— Et maintenant ? me demanda Lissa. – Reed. Débarrasse-nous-en.

Reed était resté figé durant toute la scène, qu’il avait contemplée avec fascination. Ses gestes avaient la même maladresse que ceux du gardien, mais lui aussi s’avançait de nouveau vers Lissa. Simon, de son côté, visait Adrian, qu’il avait dû identifier comme la menace immédiate. Il était temps de voir si le conseil « diviser pour mieux régner » était valable.

— Et Adrian ? s’inquiéta Lissa.

— Il va devoir se débrouiller tout seul une minute. Assomme Reed.

— Quoi ?

Elle avança tout de même vers lui avec une détermination qui m’emplit de fierté. Il se mit à ricaner. Mais il était nerveux, trop confiant pour réfléchir clairement et avait toujours des mouvements bizarres. Une fois de plus, je tâchai de faire sentir à Lissa ce qu’elle devait faire. Je ne pouvais pas faire bouger son corps, mais je pouvais lui communiquer les sensations qu’on éprouvait à mettre un coup de poing. Je lui expliquai sans un mot comment fermer son poing, replier son bras et prendre de l’élan. Après ce que je venais d’observer, le mieux que j’espérais obtenir d’elle était un coup de poing passable qui ferait reculer Reed et nous permettrait de gagner du temps.

Alors quelque chose de merveilleux se produisit.

Lissa lui cassa le nez – vraiment. Nous entendîmes distinctement l’os se briser, et du sang se mit à jaillir. Il recula, les yeux aussi écarquillés que ceux de Lissa. Je n’aurais jamais cru ma belle, douce et délicate Lissa capable d’une chose pareille.

J’avais envie de sauter de joie, mais nous n’en avions pas encore fini.

— Ne t’arrête pas ! Assomme-le ! Frappe-le encore !

— Je viens de le frapper ! s’écria-t-elle, affolée par ce qu’elle venait de faire.

Elle avait aussi terriblement mal à la main – détail que j’avais oublié de mentionner.

— Non, il faut vraiment que tu l’assommes, insistai-je. Je crois qu’il est lié à Avery et qu’elle puise des forces en lui.

Cela expliquait tout : pourquoi il s’était figé quand Avery avait combattu la suggestion d’Adrian, pourquoi il était apparu exactement au bon moment… Elle l’avait convoqué grâce à leur lien.

Alors Lissa s’acharna sur Reed. Elle lui donna deux autres coups de poing dont un qui lui projeta violemment la tête en arrière contre le mur. Sous le choc, les lèvres du garçon s’entrouvrirent et ses traits se détendirent, puis il glissa à terre, le regard vide. Il n’était peut-être pas tout à fait inconscient, mais il allait être hors de combat pendant quelque temps. J’entendis Avery gémir derrière nous.

Lissa se retourna aussitôt vers Simon et Adrian. Adrian avait abandonné toute tentative de suggestion pour résister à l’assaut physique de Simon. Son visage portait les traces des coups qu’il avait déjà reçus. J’imaginais que c’était autant une première pour lui que pour Lissa. Celle-ci n’attendit pas que je le lui ordonne pour avancer vers eux en puisant dans son pouvoir. Simon sursauta, même si cela ne suffit pas à lui faire cesser le combat. Lissa était encore faible. Mais, comme je m’y attendais, la barrière mentale qui protégeait Simon donna des signes de défaillance.

— Aide-moi ! cria Lissa.

L’hésitation momentanée de Simon permit à Adrian de se concentrer sur son pouvoir. Lissa vit son aura changer lorsque la magie afflua en lui. Elle sentit qu’il se joignait à elle dans son assaut mental de Simon, et Oksana ne tarda pas à leur prêter main-forte. J’avais envie de jouer les généraux et de crier des ordres, mais ce n’était plus mon combat.

Simon écarquilla les yeux et tomba à genoux. Lissa percevait la présence des deux autres spécialistes de l’esprit – celle d’Oksana l’étonnait un peu – et avait l’impression que chacun d’eux faisait quelque chose de légèrement différent à Simon. Lissa essayait de le contraindre à rester simplement immobile, Adrian lui ordonnait de s’endormir et Oksana tâchait de le faire sortir de la pièce.

L’afflux de magie et ces messages contradictoires eurent raison de Simon. Lorsque ses dernières défenses tombèrent, les trois suggestions se mêlèrent en une sorte de vague d’esprit qui le heurta de plein fouet. Il s’effondra sur le sol. Les trois pouvoirs combinés l’avaient assommé. Lissa et Adrian se retournèrent aussitôt vers Avery en se préparant à un nouvel affrontement, mais ce fut inutile.

Elle s’était mise à hurler dès que Simon avait été vaincu et ne s’arrêtait plus. Elle se pressait les tempes de ses mains et les hurlements qu’elle poussait étaient affreux. Lissa et Adrian, qui ne savaient pas trop comment gérer cette crise, échangèrent un regard interrogateur.

— Pour l’amour de Dieu ! gémit Adrian, à bout de forces. Comment peut-on la faire taire ?

Lissa n’en savait rien. Elle songea à s’approcher d’elle pour essayer de l’aider malgré tout ce qu’elle lui avait fait. Mais Avery se tut quelques secondes plus tard. Contrairement à ses complices, elle ne s’évanouit pas. Elle resta simplement assise, le regard dans le vague. Elle n’avait plus l’air hébété que lui donnait l’usage de l’esprit. Elle était simplement… sans expression. Comme s’il n’y avait plus rien en elle.

— Que… Que s’est-il passé ? demanda Lissa. Je connaissais la réponse.

— L’esprit est entré en elle à travers Simon et lui a grillé le cerveau. Lissa était abasourdie.

— Mais comment a-t-il pu passer de l’un à l’autre ?

— Parce qu’ils étaient liés.

— Mais tu as dit qu’elle était liée à Reed.

— C’est le cas. Elle est liée aux deux.

Lissa avait été trop occupée par la nécessité de défendre sa vie pour remarquer quoi que ce soit, mais j’avais pris le temps d’observer les auras de tout le monde à travers ses yeux. L’aura d’Avery, quelle avait cessé de masquer, était dorée, tout comme celles de Lissa et d’Adrian. Celles de Simon et de Reed étaient presque identiques : elles présentaient des couleurs ordinaires cerclées de noir. Tous deux avaient reçu le baiser de l’ombre. Avery les avait ramenés d’entre les morts.

Lissa cessa de poser des questions et se jeta dans les bras d’Adrian. Leur étreinte n’eut rien de romantique. Ils avaient seulement besoin l’un et l’autre d’être réconfortés par un ami.

— Pourquoi es-tu venu ? lui demanda-t-elle.

— Tu plaisantes ? Comment aurais-je pu ne pas venir ? C’était un vrai feu d’artifice ! J’ai senti le pouvoir que vous manipuliez de l’autre bout du campus. (Il jeta des regards dubitatifs autour de lui.) Je vais avoir des tas de questions à te poser.

— J’en serai ravie, grommela Lissa.

— Je dois y aller, lui annonçai-je en me sentant un peu triste de les abandonner.

— Tu me manques. Quand reviendras-tu ?

— Bientôt.

— Merci. Merci d’être là pour moi.

— Je le serai toujours. (Je suspectai mon corps d’être en train de sourire.) Oh ! Lissa ? Dis à Adrian que je suis fière de lui.

La chambre de l’académie disparut et je me retrouvai assise sur un lit à l’autre bout du monde. Abe m’observait avec inquiétude. Mark aussi était inquiet, mais il n’avait d’yeux que pour Oksana, allongée près de moi. Elle était un peu dans le même état qu’Avery, très pâle et en nage. Mark lui prit la main avec angoisse.

— Est-ce que ça va ?

— Je suis seulement fatiguée, lui répondit-elle en souriant. Ça va aller. J’avais envie de la serrer dans mes bras.

— Merci, murmurai-je. Merci infiniment…

— Je suis contente d’avoir pu me rendre utile, mais j’espère bien que je n’aurai jamais à le refaire. C’était… bizarre. Je ne sais même pas vraiment quel rôle j’ai joué.

— Moi non plus.

Cela avait effectivement été bizarre. À certains moments, Oksana s’était vraiment trouvée là pour se battre au côté de Lissa. À d’autres, j’avais eu l’impression qu’elle se confondait avec moi. Je frissonnai. Trop d’esprits avaient été liés les uns aux autres.

— La prochaine fois, il faudra que tu sois à son côté dans le monde réel, m’avertit Oksana.

Je baissai les yeux vers mes mains, un peu désemparée. L’anneau d’argent brillait à mon doigt. Je le retirai et le lui donnai.

— Cet anneau m’a sauvé la vie. Peut-il vous guérir même si c’est vous qui l’avez fabriqué ?

Elle le garda un moment au creux de sa main, puis me le rendit.

— Non, mais je t’assure que ça ira. Je guéris vite.

Ce devait être vrai. J’avais déjà eu l’occasion de remarquer ce phénomène chez Lissa. C’était l’un des avantages qu’il y avait à être habitée par l’esprit. Tandis que je contemplais l’anneau, une pensée troublante me vint à l’esprit. J’y avais déjà songé entre deux moments d’inconscience dans la voiture du vieux couple qui m’avait ramenée à Novossibirsk.

— Oksana… Un Strigoï a touché cet anneau. Alors, pendant quelques instants, j’ai eu l’impression… C’était encore un Strigoï, bien sûr, mais… tout le temps qu’il l’a tenu, j’ai eu l’impression qu’il avait recouvré quelque chose de son ancienne personnalité.

Oksana ne répondit pas aussitôt. Elle leva les yeux vers Mark. Ils se dévisagèrent un long moment, puis Mark se mordit la lèvre et secoua la tête.

— Non, lui dit-il. Ce n’est qu’un conte de fées.

— Quoi ? m’écriai-je en les regardant tour à tour. Si vous savez quelque chose… à propos des Strigoï, vous devez me le dire !

Mark dit quelque chose en russe qui semblait lourd de menaces, mais Oksana paraissait tout aussi déterminée.

— Nous n’avons pas à cacher cette information, conclut-elle finalement avant de se tourner vers moi, le visage grave. Mark t’a bien parlé d’un Moroï que nous avons rencontré il y a longtemps, un autre spécialiste de l’esprit ?

J’acquiesçai.

— Oui.

— Il racontait beaucoup d’histoires, dont la plupart devaient être inventées. Mais l’une d’elles… Il prétendait avoir ramené un Strigoï à la vie.

Abe, qui s’était tu jusque-là, s’esclaffa.

— C’est un conte de fées.

— Quoi ? (Mon univers vacilla.) Comment ?

— Je ne sais pas. Il n’en parlait pas beaucoup et les détails changeaient souvent. Il perdait la tête, m’expliqua-t-elle. Je pense que la moitié de ce qu’il disait sortait tout droit de son imagination.

— Il est complètement fou, surenchérit Mark. Et cette histoire est fausse. Ne te laisse pas berner par le délire d’un déséquilibré. Ne fais pas une fixation sur cette histoire. N’en fais pas ta prochaine quête. Tu dois aller retrouver ta compagne de lien.

Je déglutis en ayant l’impression que toutes les émotions du monde se déchaînaient à l’intérieur de moi. Etait-ce vrai ? Un spécialiste de l’esprit avait-il réussi à ramener un Strigoï à la vie ? Sur le plan théorique… s’ils étaient capables de guérir les vivants et de ressusciter les morts, pourquoi pas les non-morts ? Et Dimitri… m’avait vraiment paru changé lorsqu’il avait tenu l’anneau. L’esprit avait-il réveillé une part enfouie de lui-même ? Sur le moment, j’avais cru que c’était la discussion que nous avions eue sur sa famille qui l’avait attendri.

— Je dois parler à ce Moroï, murmurai-je.

J’ignorais pourquoi. Conte de fées ou pas, il était trop tard. Je l’avais fait. J’avais tué Dimitri. Aucun miracle ni aucun pouvoir de l’esprit ne pourraient plus le ramener à la vie. Mon cœur s’affola et j’en perdis le souffle. Mon imagination me le montra en train de tomber pour l’éternité, mon pieu planté dans le cœur. M’aurait-il dit qu’il m’aimait ? J’allais me poser cette question jusqu’à la fin de mes jours.

Le chagrin et la douleur me submergèrent, mais dans le même temps j’éprouvai aussi du soulagement. J’avais délivré Dimitri de cet état contre nature. Je lui avais apporté la paix et l’avais envoyé vers un monde meilleur. Mason et lui étaient peut-être en train de s’entraîner ensemble dans un coin du paradis. J’avais fait ce qu’il fallait. Je n’avais aucune raison de le regretter.

Oksana me répondit sans avoir conscience des émotions qui m’assaillaient.

— Mark ne plaisantait pas. Cet homme est fou, et il n’est même pas certain qu’il soit encore en vie. La dernière fois que nous l’avons vu, il pouvait à peine suivre une conversation ou se servir de sa magie. Il a pris la fuite. Personne ne sait où il se trouve, sauf peut-être son frère.

— Assez ! l’interrompit Mark.

Mais la curiosité d’Abe avait été piquée au vif.

— Comment s’appelle cet homme ? demanda-t-il en se penchant vers nous, le regard pétillant.

— Robert Doru, répondit Mark après quelques instants d’hésitation.

Je n’avais jamais entendu parler de lui et commençais à m’apercevoir à quel point tout cela ne rimait à rien. Si cet homme était fou, il avait probablement imaginé avoir sauvé un Strigoï dans une crise de démence. Dimitri était mort. Ce chapitre de ma vie était clos. Je devais retourner auprès de Lissa.

Alors je remarquai qu’Abe ne bougeait plus.

— Le connaissez-vous ? lui demandai-je.

— Non. Et toi ?

— Non. (Je scrutai son visage.) Vous avez l’air de quelqu’un qui sait quelque chose, Zmey.

— J’ai entendu parler de lui, précisa-t-il. C’est un bâtard de la noblesse, le fruit d’une liaison de son père. Celui-ci l’avait pleinement intégré à sa famille. Robert et son demi-frère étaient très proches, même si peu de gens le savent. (Bien sûr, lui le savait.) Doru est le nom de famille de la mère de Robert.

Comme ce n’était le nom d’aucune famille royale, je n’en fus pas surprise.

— Et comment s’appelait son père ?

— Dashkov. Trenton Dashkov.

— Voilà un nom que je connais, commentai-je.

J’avais rencontré Trenton Dashkov des années plus tôt, alors que j’accompagnais Lissa et sa famille en vacances. Ce n’était plus qu’un vieillard voûté, charmant, mais qui n’allait pas tarder à mourir. Il était fréquent que les Moroï dépassent les cent ans, mais il avait atteint les cent vingt. C’était un grand âge même d’après leurs critères. Je n’avais pas vu de fils illégitime et personne n’en avait soufflé mot, mais son fils légitime se trouvait là. Il m’avait même fait danser, ce en quoi il avait fait preuve d’une grande courtoisie à l’égard d’une simple dhampir.

— C’est le père de Victor Dashkov, déclarai-je. Vous êtes en train de dire que Robert Doru est le demi-frère de Victor Dashkov.

Abe acquiesça sans cesser de m’observer attentivement. Puisque Abe était au courant de tout, il devait savoir ce qui s’était passé entre Victor et moi.

Oksana fronça les sourcils.

— Victor Dashkov est quelqu’un d’important, n’est-ce pas ?

En vivant au fond de la Sibérie, ils se tenaient à l’écart de la vie politique tumultueuse des Moroï. Oksana ignorait donc que l’homme qui aurait dû devenir roi avait été mis en prison.

J’éclatai de rire, sans pour autant trouver rien de drôle à cette révélation. Tout cela était simplement incroyable, et cette crise d’hystérie était le seul moyen que j’avais de me délivrer des sentiments qui me submergeaient : l’exaspération, la résignation, l’ironie.

— Qu’est-ce que ça a d’amusant ? me demanda Mark, étonné.

— Rien, lui assurai-je en prenant conscience que j’allais finir par fondre en larmes si je ne cessais pas très vite de rire. C’est ça, justement : ça n’a rien de drôle.

Quelle curieuse ironie du sort. La seule personne qui pouvait m’apprendre quelque chose sur la possibilité de sauver les Strigoï était le demi-frère de mon pire ennemi, Victor Dashkov. Et la seule personne qui savait peut-être où il se trouvait était Victor lui-même. Je commençai à comprendre d’où Victor avait tiré toutes les informations dont il disposait sur l’esprit.

Sauf que cela n’avait plus d’importance. Plus rien n’en avait. Victor aurait aussi bien pu convertir les Strigoï lui-même. Quel bien pouvais-je en attendre ? Dimitri était mort. Je l’avais tué, sauvé par la seule méthode que je connaissais. Il m’avait fallu choisir entre Lissa et lui, et c’était lui que j’avais choisi. À présent, il n’y avait plus à choisir. Elle était réelle, vivante. Lui faisait partie du passé.

J’avais laissé mon regard se perdre dans le vide. Je tournai la tête pour soutenir celui d’Abe.

— Très bien, vieillard. Renvoyez-moi chez moi.

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